Et si l’hypersensibilité des enfants dys était une chance ?

20 à 30 % des personnes seraient hypersensibles, des adultes comme des enfants qui perçoivent plus intensément les émotions et les sensations. Même si l’immaturité cérébrale des plus jeunes entraîne des réactions exacerbées, les parents constatent souvent une hypersensibilité de leurs enfants dys. Ce trop-plein émotionnel peut être mal vécu par les familles qui voient alors d’autres difficultés s’ajouter aux troubles des apprentissages. Pourtant, la compréhension et la prise en compte de ces spécificités en font une véritable intelligence émotionnelle avec de véritables atouts.

Reconnaître une sensibilité exacerbée

Pour le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, l’hypersensibilité « n’est ni un trouble, ni une déficience, mais une “signature” ». Ce trait de personnalité ne se décide pas, il se vit. Certains psychologues et neuropsychologues la considèrent présente dès la naissance et d’autres l’estiment acquise après des évènements plus ou moins traumatisants. D’autres, comme la neuropsychologue Cathy Assenheim, la pensent héréditaire. Les émotions font débat. 

Au quotidien, les petits et les grands porteurs de troubles des apprentissages vivent plus fortement les sensations et les émotions. Tout est « plus », voire « trop ». Chaque sens peut être concerné.

La vue

L’hypersensible a une vision très affûtée de son environnement. Il est réceptif à une lumière trop vive ou au contraire à l’absence de luminosité naturelle. Il porte une attention particulière à chaque détail plutôt qu’à la globalité.

L’ouïe

Il a une audition qui paraît surdéveloppée. Dans la réalité, il est simplement perméable à un environnement bruyant, à des bruits parasites ou au tic-tac d’une horloge.

Le goût et l’odorat

Il perçoit les saveurs, les textures et les odeurs avec davantage de finesse ou de dégoût. Il peut sélectionner ce qu’il mange et trier les aliments dans son assiette ou être particulièrement incommodé par des odeurs désagréables.

Le toucher

Il est sensible aux matières et aux textures. L’étiquette ou la couture d’un vêtement peuvent lui être insupportables tel le petit pois sous le matelas de la princesse du conte d’Andersen.

Les émotions

Les états affectifs sont des mécanismes d’adaptation au contexte. Chez l’hypersensible, ils deviennent envahissants. La peur, la joie, la colère, la tristesse sont ressenties intensément. Il est très empathique et, par conséquent, perméable aux humeurs des autres et aux changements dans l’environnement.

La perception

La synesthésie est parfois considérée comme un trouble. Ici, elle décrit la capacité de percevoir une sensation dans différentes parties du corps. Plusieurs sens sont associés à une stimulation. En pratique, un enfant ou un adulte à la sensibilité exacerbée reliera une notion à une couleur, une forme ou un chiffre. La pensée combine les mots, les sensations et les images.

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Comprendre l’hypersensibilité chez les enfants dys

Au quotidien

Chaque situation peut générer une réaction augmentée. Tout peut déclencher une émotion ou une amplification des sentiments. Le philosophe et écrivain Fabrice Midal a écrit différents ouvrages sur le sujet. Il explique toute l’incompréhension ressentie par son entourage et lui-même lorsqu’il était petit. Ses parents ont eu l’impression d’avoir face à eux un martien ou un comédien. Voilà tout l’enjeu : accepter que son enfant ne fait pas de cinéma et qu’il n’a pas de trouble supplémentaire.

Chaque jour, leur cerveau fait face à des vagues émotionnelles et des sensations démultipliées. Tout peut être un élément déclencheur : 

• le ton un plus sec que d’habitude employé par un camarade ou par la maîtresse ;
• le tapotement des doigts sur la table ; 
• l’odeur de la classe ; 
• la réaction mitigée d’un adulte face aux efforts fournis ;
• le bruit de la télé en fond sonore à l’heure des devoirs ;
• la douleur d’une égratignure au genou, vécue comme une fracture ouverte ;
• etc.

Le parcours des enfants dys

Ce qui est anodin pour les adultes devient majeur pour les enfants hypersensibles.

La présence de troubles des apprentissages peut majorer ou générer une hyperémotivité. Pourquoi ? Parce que la surexposition aux difficultés et les efforts fournis sans obtenir de satisfaction impactent l’estime de soi. La scolarité d’un élève dys s’inscrit dans un parcours souvent long et douloureux. Avant qu’un diagnostic ait pu être posé, il faut détecter les signes des troubles neurodéveloppementaux et envisager différentes pistes de remédiation. Ensuite, un suivi adapté se met en place chez une orthophoniste ou un psychomotricien. Pendant tout ce temps, l’enfant dys est confronté aux spécificités de son trouble. 

• Il fournit des efforts considérables sans obtenir de résultats à la hauteur de son investissement.
• Il affronte la déception et l’incompréhension de son entourage.
• Ses ressources cognitives et affectives s’épuisent à force de suradaptation. 
• Ses réactions le mettent en décalage.
• Sa sensibilité s’amplifie au fil de ses expériences. 
• La fatigue suscitée par son trouble s’ajoute à celle générée par ses réactions émotionnelles. 
• Son cerveau est en alerte permanente, toujours à l’affût et en réaction au contexte. 

Certains parents d’enfants décrivent des troubles anxieux avec des nuits perturbées, des douleurs somatiques et des troubles digestifs. Une vigilance particulière est à maintenir dès que le sommeil est touché, ainsi que l’alimentation ou lorsqu’un changement de comportement est observé. Le professionnel qui suit votre enfant est un interlocuteur à privilégier. Un suivi chez un psychologue peut être envisagé pour lui offrir un espace de parole où il pourra déposer ce trop-plein de sensibilité.

Mieux vivre avec une hyperémotivité

Accepter

La psychologue américaine, Eliane Aron, a popularisé le concept d’hypersensibilité au début des années 2000. Elle parle de high sensitiv person, soit personne à sensibilité élevée. La traduction française et son préfixe « hyper » ajoutent une dimension excessive, à la limite du pathologique. L’enfant devient « trop » alors qu’il est juste lui-même. 

L’hyperémotivité des enfants dys est une composante de leur personnalité à considérer dans son quotidien et dans l’accompagnement dont il bénéficie. « L’important n’est pas de la combattre, mais de savoir que l’on peut passer d’une hypersensibilité subie et douloureuse à une hypersensibilité épanouissante et heureuse. » Boris Cyrulnik (interview pour Fémina, 28/12/2022)

Prendre en compte

Les émotions sont l’une des particularités de l’être humain. On voudrait les gérer en permanence et les maîtriser en oubliant de les vivre, tout simplement. Votre enfant dys est hypersensible ? Il doit pouvoir ressentir et accepter ses perceptions. Pour ce faire, les adultes qui l’entourent doivent connaître son fonctionnement et ses besoins dans la sphère familiale comme à l’école. Ils aident le jeune à nommer et distinguer ce qu’il perçoit.

La régulation émotionnelle est possible à condition de savoir identifier ce qui meut et émeut ! L’hypersensibilité des enfants dys s’accompagne par des techniques simples.

• La communication non violente (CNV) facilite l’expression de ses besoins sans nuire à l’autre. Chaque interlocuteur exprime son sentiment sans accuser personne (« Quand tu te mets en colère pour cette raison-là, je ne te comprends pas. », « J’ai besoin de calme sinon je n’arrive pas à travailler », etc.)
• La symbolisation avec un support d’identification ou de projection aide à trouver les mots justes sur l’intelligence émotionnelle. La roue des émotions est souvent utilisée par les enseignants pour accompagner les élèves. Les dessins, symboles et pictogrammes sont des vecteurs de parole.
• La culture propose différents médias pour mettre une distance entre soi et la situation. Les livres s’adressent aux plus petits et aux plus grands. Certains sont de véritables boîtes à outils émotionnelles pour les parents. Les pièces de théâtre pour enfants et même les dessins animés, dont les fameux Vice Versa de Pixar dédramatisent une sensibilité débordante.
• Les techniques de respiration et de relaxation proposent une autogestion de l’inconfort ressenti par les enfants très émotifs.
• L’accompagnement par un thérapeute reste le moyen incontournable d’aider l’enfant à canaliser ses affects.

Développer les atouts

Vous venez de voir le revers de l’hypersensibilité des enfants dys, laissons la place à l’endroit de la médaille. Avec une perception affûtée des situations, une empathie développée et des sensations vives, elle est un véritable moteur de créativité. Il ne s’agit pas seulement de peindre, dessiner ou sculpter. L’ingéniosité est nécessaire dans toutes les situations de sa vie d’enfant et de futur adulte : 

• partager son empathie et offrir une écoute bienveillante à l’autre ;
• trouver des stratégies de contournement (l’une des spécialités des petits dys !) ;
• imaginer une solution à un problème insoluble ; 
• proposer un autre regard sur un événement.

L’empathie est l’autre force des hyperémotifs. Comprendre l’autre et se mettre à sa place ne sont pas à la portée de tout un chacun. Partager la bienveillance est un atout à consommer sans modération ! Chez les enfants porteurs d’un TDA/H, on retrouve souvent un désir de justice et d’équité très fort. Lorsque leur élan de justicier est encadré et canalisé, c’est une grande chance pour le groupe. Se mettre à la portée des hypersensibles, c’est accéder à une autre lecture du quotidien. Ressentir les émotions et les sensations plus fortement, c’est vivre le monde avec plus d’intensité. 

« Si ces échanges sont riches, apaisants, sécurisants, ils vont réassurer l’enfant et l’autoriser à déployer sa grande sensibilité, qui deviendra pour lui un outil extraordinaire. Il pourra appréhender le monde de façon beaucoup plus fine et subtile, avec beaucoup plus de couleurs ! » Boris Cyrulnik (ibidem)

Avoir une grande émotivité envahit autant son auteur que l’entourage. Apprendre à la gérer ne signifie pas la mettre de côté, mais savoir identifier et comprendre ses manifestations. L’hypersensibilité des enfants dys ajoute une particularité à ce trait de personnalité fréquent. Elle peut être innée ou acquise, mais elle ne passe jamais inaperçue. Les difficultés générées par les troubles spécifiques des apprentissages la déclenchent ou l’accentuent. Mais comme souvent, tout n’est pas perdu, puisque gérer ses débordements émotionnels s’apprend. Et c’est encore mieux quand les enfants dys et leurs parents sont accompagnés d’un professionnel de santé et qu’ils sont soutenus par leur entourage. Ils ont tout à y gagner lorsque l’on constate les trésors de créativité et d’empathie qu’elle génère.

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